arp, un utopiste chez Debian-Facile

arpinux, j’ai eu le plaisir de te connaître lorsque j’aidais un peu l’équipe qui traduisait « Les cahiers du débutants » vers l’anglais, mais j’aimerais maintenant faire plus ample connaissance avec toi, si tu le veux bien…

Bonjour Yves, tu es trop modeste : tu as quasiment traduis l’intégralité des cahiers du débutant et ce n’était pas une « équipe » pour la traduction, on était trois : DYP, toi et moi !

– Depuis quand es-tu branché sur l’informatique en général, et GNU/Linux en particulier ?

J’ai découvert l’informatique et GNU/Linux en même temps : je n’avais pas d’ordinateurs car je voyais tous mes amis galérer avec leurs ordis, donc je n’envisageai pas d’acquérir ce genre de matériel… j’étais plutôt plume et crayon.
En décembre 2002, j’ai exposé quelques uns de mes dessins et il me fallait réaliser des flyers. DYP (un contributeur actif d’Ubuntu à l’époque) me parla de Linux et m’aida à réaliser une affiche et des flyers grâce à l’application ‘The Gimp’ : c’est comme ça que j’ai découvert le Libre. En juin 2006, DYP me fila mon premier ordinateur, équipé d’une Ubuntu Dapper Drake que je quittai en décembre 2007 pour une CrunchBangLinux. La découverte d’un univers dans lequel « le mode d’emploi fonctionne » m’a fasciné. Il faut dire que dans la vie réelle, le mode d’emploi ne sert généralement à rien… il finit toujours par se passer un truc qui fout tous tes plans en l’air !

DYP me présenta le libre d’une façon simple : prends tout ce dont tu as besoin, utilise, apprends puis partage. Et c’est exactement ce que je tente de faire depuis ce jour.

– Veux-tu nous parler un peu de la façon dont tu gagnes ta vie, à côté du logiciel libre ?

Je ne gagne pas ma vie, je la vis ! Je suis un heureux père au foyer de 5 enfants âgés de 4 à 15 ans avec lesquels je pratique l’instruction en famille depuis maintenant 8 ans. Ma femme et moi vivons dans notre petit village isolé (mais pas trop) et cela fait longtemps que nous avons abandonné l’idée de gagner quoi que ce soit, à part du temps avec nos enfants et une vie familiale simple.

Quelle est la genèse de Debian-Facile et par quel cheminement personnel te retrouves-tu présider cette association ?

Debian-Facile était tout d’abord une communauté d’utilisateurs œuvrant pour l’entraide sur les Logiciels Libres, puis ils se sont organisés en association dans l’année 2013, afin de pouvoir participer à des évènements, et d’agir à leur manière afin de promouvoir le Libre. Pour plus d’infos sur les coulisses de Debian-Facile, il faudra demander aux pères fondateurs

De mon côté, je bidouillais avec ‘live-build’, l’outil de construction des Live Debian, jusqu’à lancer livarp en 2011, une distribution basée sur Debian ayant pour but de faire découvrir les gestionnaires de fenêtres alternatifs (OpenBox, PeKwm, FluxBox, Awesome, Spectrwm…). J’ai ensuite lancé HandyLinux sous l’impulsion du forum crunchbanglinux-fr en 2013. Cette aventure fut disons… chaotique mais très enrichissante.
J’ai rejoint l’association Debian-Facile en 2016 en initiant la fusion des communautés HandyLinux et Debian-Facile. J’ai travaillé avec eux sur le projet d’une ISO facilitante dans la même veine qu’HandyLinux, mais plus proche de Debian, et aussi sur la suite des cahiers du débutant (mon projet « perso » préféré). Dans le même temps, nous avons fondé les 3hg avec Thuban et Starsheep (deux gros contributeurs d’HandyLinux et du Libre) pour les raisons exposées sur la page d’accueil …

Un peu lassé de l’informatique et avec une vie un peu compliquée fin 2017, j’ai fait une pause de deux ans quasi sans ordi, puis, les doigts me démangèrent… j’ai donc repris le clavier en main et en 2019, je suis revenu sur Debian-Facile pour travailler à nouveau sur les cahiers du débutant et DFiso.
Mais j’avais d’autres envies, et quand la question du renouvellement du bureau de l’association s’est posée en début d’été, j’ai osé proposer ma candidature au sein du bureau en tant que président. J’ai exposé mes projets et la communauté les a acceptés.
C’est donc à la grande surprise pour tous mes potes que je suis devenu « président » d’une association… plutôt ironique quand on sait que je suis un anarchiste optimiste dans l’âme.

Peux-tu nous dévoiler déjà ici quelles sont les impulsions nouvelles que tu souhaites imprimer à cette sympathique association ?

Tout a déjà été dévoilé… je n’ai pas de plans secrets cachés (hormis la conquète du Monde, mais c’est autre chose…). Ce que je souhaite pour Debian-Facile ? Que l’association s’implique encore plus dans le monde réel, et on ne peut pas dire que la situation actuelle m’aide beaucoup à organiser des rencontres IRL…
Je souhaite que les utilisatrices et utilisateurs puissent trouver lorsqu’ils cherchent et puissent être invités lorsqu’ils le désirent… cela passe par une accueil et une entraide bienveillante (je l’ai appris à mes dépends) et aussi par une documentation claire et accessible.
Je souhaite un rapprochement des communautés dans un univers où elles ont pris l’habitude de se diviser.
Je souhaite une multiplication des vecteurs de diffusion du Libre.
Je souhaite que chaque membre de l’association puisse trouver sa place et une façon de contribuer qui lui corresponde : la documentation, les vidéos, l’entraide sur le forum, les actions sur le terrain, les traductions, les tests et retours, ou la glandouille contemplative…

Une chose qui m’avait beaucoup frappé à l’époque, c’était la grande distance que tu voulais mettre entre la documentation pour « Les cahiers » et Ubuntu. Voudrais-tu maintenant m’en dire un peu plus (si tu le souhaites) ?

Ubuntu m’a ouvert les portes du Libre, je ne vais pas l’oublier, mais depuis le début, je trouve qu’Ubuntu ne respecte pas la première de ses obligations en tant que dérivée de Debian : les paquets ‘ubuntu’ ne sont pas tous rétro-compatibles avec Debian. Il en résulte des différences de commandes, de procédures, qui nuisent à la lisibilité pour un débutant qui croit souvent que Ubuntu=Debian… Je n’ai pas inventé cette séparation, elle existe déjà, et j’en prends note, tout simplement. Et bien évidemment, lorsque je rédige un tutoriel, je le fais depuis Debian et sans penser à Ubuntu (la dérivée).

– A quelle occasion es-tu entré en contact la première fois avec le collectif Emmabuntüs, et son « lider maximo »?

Je n’ai aucune idée de la date précise car le collectif Emmabuntüs m’a toujours semblé être LE projet le plus utile dans le Libre. J’en parlais déjà sur le forum crunchbang-fr comme d’une distribution qui servait enfin à quelque chose ! Reconditionner des machines pour les plus démunis, les envoyer à travers le monde pour aider les populations en difficultés, que dire de plus… une magnifique entreprise et un exemple pour les forkers de tout poil !
Le « contact » réel s’est fait au moment du passage d’Emmabuntüs vers la base Debian (Emmabuntüs était historiquement basée sur Ubuntu). J’avais réalisé un tutoriel sur ‘live-build’ et Patrick l’a utilisé. Nous sommes alors entrés en contact officiellement, il est venu à la maison, et j’espère le compter désormais parmi mes amis.
J’ai toujours eu une petite jalousie par rapport à son projet et son énergie.. le truc qui te fait te dire … « j’aurais aimé y penser… ».

L’association Debian-Facile, le collectif Emmabuntüs, les sites BlablaLinux.be, Tugalères.com et Linux-Live-CD.org démarrent ensemble une campagne de réemploi. Veux-tu nous expliquer comment cette idée a germée dans vos esprits toujours bouillonnants ?

Cette campagne de réemploi est une idée commune qui s’est imposée à nous au fur et à mesure de l’été. Chacun suivait sa route et elles nous ont menés à la même croisée des chemins :
Patrick utilisait sa technique de réemploi pour le collectif Emmabuntüs,
Amaury Libert (BlablaLinux.be) qui en parlait déjà sur son blog, a commencé à donner des machines reconditionnées et souhaitait lancer une campagne similaire en Belgique,
Angedestenebres (Tugaleres.com) est venu donner un coup de main (et de compétences) sur l’espace de développement git du collectif Emmabuntüs,
Je suivais et testais Emmabuntüs avec Patrick…

Lorsque j’ai présenté ma candidature sur Debian-Facile, j’ai informé Patrick de mon projet et de mes envies. Je lui ai transmis mon « programme » en lui parlant de ma grande envie de collaborer avec le collectif et aussi avec d’autres associations si c’était possible. Il a répondu présent avant même que je fasse l’appel et on a lancé très vite cette idée de campagne de reconditionnement à destination des plus démunis. C’était il y a un mois seulement… il s’en est passé des choses depuis !

Cette campagne a réveillé tout ce petit monde qui s’est mit à travailler dur pour améliorer les scripts de Patrick, la méthode de reconditionnement et les outils livrés aux volontaires pour cette campagne. Nous avons même un espace dédié sur le forum Debian-Facile ainsi qu’une chaîne peertube dédiée à ce projet (merci Tedonum) afin de rassembler tout ce dont les volontaires pourraient avoir besoin.

Angedestenebres a largement communiqué et testé sur le sujet, Amaury a produit de nombreuses vidéos de démonstration et de réalisation de la clé USB de réemploi, François Fabre (le développeur de MultiSystem) a aidé à configurer le lanceur GRUB et la compatibilité de MultiSystem avec la méthode de réemploi. Quant à moi, j’ai posté sur le forum pour tenter une organisation au sein de la communauté Debian-Facile.

Je crois que l’idée était là depuis longtemps, il fallait simplement les bonnes circonstances et les bonnes personnes, et je suis très fier d’y participer.

– Quelles autres actions au sein de Debian-Facile se sont-elles mises en place cet été après l’arrivée du nouveau bureau ?

Hormis la campagne de reconditionnement, on a relancé la production de mini-tutoriels en vidéo pour les débutants et utilisateurs classiques. Le but est d’offrir un support supplémentaire et complémentaire au Wiki et au forum. Nous avons donc lancé une chaîne peertube Debian-Facile afin d’y poster des « DF-mini-tutos » chaque semaine.
Les sujets des tutos vont de la gestion des logiciels à l’inscription sur un forum en passant par la configuration du bureau et de l’apparence. Nous tentons de produire des tutoriels simples et clairs, certes moins vivants que les vidéos de notre ami Amaury aka Blabla Linux, mais c’est plutôt une documentation animée, un pas à pas pour suivre et faire en même temps.
Nous sommes hébergé par Tedomum.net (merci à eux).

Nous allons également lancer une campagne de traduction pour franciser autant que possible Debian et sa documentation. Debian est déjà très largement traduite en français mais il reste du travail. C’est l’occasion pour les contributeurs ‘non-techniciens’ de participer à l’accessibilité de Debian en utilisant leurs connaissances.

– Et finalement, quelles sont les perspectives que vous envisagez pour la suite des actions de l’association Debian-Facile ?

Pour moi, les perspectives sont simples et se traduisent dans un message que je tente de transmettre depuis un bout de temps :

apprendre encore, comprendre mieux, partager plus !

L’association Debian-Facile a deux moteurs inscrits dans ses statuts : l’aide aux utilisateurs (notamment les plus fragiles) et la promotion du Libre à travers Debian. Il me paraît donc évident de continuer à répondre du mieux que l’on peut aux attentes et questions des utilisateurs sur le forum, mais aussi de proposer les outils nécessaires à l’émancipation de ces utilisateurs.

Le principe d’autonomie numérique est noble, mais s’il ne s’accompagne pas d’une certaine émancipation, l’utilisateur se retrouve vite prisonniers des libristes comme il l’était des systèmes d’exploitations propriétaires. Le but n’est donc pas de « faire passer » des utilisateurs au Libre, mais bel et bien de libérer l’utilisateur.
Pour offrir les outils nécessaires à l’émancipation, il faut travailler la documentation et la distribution elle-même. DFiso est là pour ça et permet d’offrir un environnement clair et stable pour les utilisateurs désireux de découvrir Debian. C’est aussi l’objectif des cahiers, ces deux projets vont donc continuer à être développés en espérant voir des projets identiques aux cahiers pour les autres distributions « mères ».

Un autre point que je souhaite développer, c’est la collaboration et la réduction des points d’entrées pour les utilisateurs.
Il existe 3 forums pour Debian en France par exemple… Alors je comprends le principe du fork et de la liberté, mais j’avoue que je trouve la situation ridicule : que des humains, utilisateurs Debian, n’arrivent pas à se mettre autour d’une table pour apporter leur aide de façon unie aux utilisateurs, j’ai du mal à comprendre. Donc un de mes projets totalement utopique et je le sais, très difficilement réalisable, est de réunir les communautés Debian francophones pour parvenir à un portail Debian-Fr permettant aux utilisateurs de découvrir toute la diversité de notre communauté, mais depuis un portail unique.
Alors bien sûr, la centralisation n’est pas souhaitable, mais la convergence est un principe qui permettrait à tous ces humains de trouver leur place : certains sont plus à l’aise sur un forum, d’autres sur IRC [Internet Relay Chat] , d’autres sur les réseaux sociaux modernes, d’autres encore aiment rédiger de la documentation (on a tout de même 3 wikis « debian » francophones, ce qui prouve la présence de nombreux rédacteurs), d’autres se sentent pédagogues, d’autres enfin, ne supportent pas les débutants et préfèrent parler technique et code dur.

Et bien je pense que c’est cette diversité qui fait notre force, et que sur un portail unique, chacun pourrait trouver une place qui lui convient, mais sans s’opposer aux autres, en collaborant, et en découvrant même des aspects de notre communauté auxquels ils n’avaient pas pensé avant.
Bref … encore un beau rêve @arpi mais celui-là, il demande un torrent de patience et de compréhension… c’est pas encore gagné, mais c’est possible.

La collaboration avec Emmabuntüs est un élément probant de cette possibilité : nous avons plusieurs membres du forum qui utilisent déjà Emmabuntüs mais aussi d’autres OS et c’est très bien (la diversité, c’est toujours mieux). Mais je regrettais un manque d’actions réelles entre ces utilisateurs : chacun son forum, chacun sa doc, chacun sa communication… Le fait que le collectif Emmabuntüs et l’association Debian-Facile œuvrent ensemble sur un même projet montre que cet échange libriste, ce partage libriste ne doit plus être utiliser pour diviser notre communauté (oui, j’ose dire « notre »).
Cela fait trop longtemps que tout le monde s’accorde à dire que la « communauté du Libre » n’existe pas et que ce ne sont que des blocs disparates. J’aimerais que Debian-Facile et son travail fasse des émules et que, de la même façon qu’HandyLinux a fusionné avec Debian-Facile, de la même façon qu’Emmabuntüs et Debian-Facile se sont jointes pour œuvrer ensemble, d’autres communautés si proches les unes des autres, collaborent et arrête ces rivalités stupides pour savoir quelle est la « meilleure distro », « quel système est le plus sécurisé », « quel est le meilleur système d’init »…

J’aimerais que l’on se concentre sur l’essentiel, à savoir le fabuleux potentiel économique, social et politique du Libre, de ses valeurs et de son éthique.
Mais cela dépasse largement le cadre de l’association Debian-Facile.

 

– A l’heure où nous mettons sous presse, nous découvrons qu’arpinux vient de publier un mini-bilan de son premier mois de présidence et c’est ici.

Un grand merci à notre ami arpinux pour avoir accepté cette interview, et pris le temps de répondre longuement et fort honnêtement à nos questions. Et nous souhaitons bonne chance à toute l’équipe de Debian-Facile pour toutes les actions à venir.