Bonjour Yves, bien que nous appartenions tous les deux, de près ou de loin, à la galaxie Emmabuntüs, nous n’avons pas encore eu l’occasion de dialoguer ensemble. Nous allons donc faire connaissance, si tu le veux bien, à travers cette interview.
– Dans quelles circonstances es-tu tombé dans le chaudron du logiciel libre ?
A bientôt 81 ans le parcours est assez long et tortueux. À 19 ans j’ai acheté un transistor (OC71) pour améliorer la réception d’un poste à galène. Monté à l’envers il a grillé… J’ai ensuite rejoint l’Armée de l’air qui m’a offert plusieurs formations au fil des années, la dernière étant orientée sur l’informatique de gestion …
– Avant d’aller plus loin, veux-tu nous résumer rapidement ton parcours de militaire ?
Je me suis engagé dans l’Armée de l’air en 1959, et j’ai d’abord suivi pendant un an une formation de Télémécanicien fil (téléphone, centraux téléphoniques, lignes aériennes et souterraines, téléscripteurs, sonorisation). Puis au cours de ma carrière j’ai suivi différentes formations :
Éducateurs auprès d’apprentis mécanicien ; puis Calculateur Électronique ; stage microprocesseur (époque du TTL) ; concours officier technicien ; enfin une Formation en informatique de gestion. Et puis j’ai quitté l’Armée en 1986.
– Et qu’as-tu fait après cette belle carrière militaire ?
Lorsque j’ai quitté l’Armée, je vivais à Dijon à ce moment là, on m’a offert un stage de 6 mois dans un magasin d’informatique où j’ai pu m’occuper de PC et d’Apple IIc.
Puis par un heureux concours de circonstances, j’ai été chargé de préparer un lot important d’ordinateurs en stock à une salle des ventes de Dijon, et d’aider à leur vente.
Enfin, et il faut croire que je n’en avais pas encore fini avec l’Armée, je suis reparti pendant deux ans dans la réserve active à Dijon où j’ai fait de l’informatique.
– As-tu aussi développé des applications informatiques ?
Dans l’Armée de l’air j’ai développé une application sur un Apple II en Pascal UCSD [University of California, San Diego] avec deux lecteurs de disquette. Le poste central servait aux mises à jour d’informations et un second écran déporté permettait à la hiérarchie d’exploiter l’information en disposant d’un bouton poussoir pour sélectionner l’information à montrer. Le bouton poussoir utilisait le port d’entrée dédié au jeu sur l’Apple…
Plus tard vers 1985, je fus sollicité par la fédération de ski pour participer à l’organisation de « La Bourguignonne à La Vattay ». Je me suis déplacé avec quatre ordinateurs et un logiciel que j’avais écrit en Turbo Pascal. Il y avait trois courses de ski de fond, trois arrivées sur lesquelles un contrôleur raccordé (casque/micro) à l’opératrice chargée de sa course, lui annonçait « top » puis le numéro de dossard. Au top l’opératrice appuyait sur la barre d’espacement pour mémoriser le chrono. Le logiciel mettait les résultats en forme pour respecter les directives du syndicat du livre. J’ai obtenu 50 % des résultats identiques à la seconde ceux du chronométreur officiel. Les courses se terminaient à 17H ce dimanche et les résultats furent imprimés dans le journal du Bien Public le lundi matin. (Je transmettais les résultats à 1200 bauds chez un journaliste qui retransmettait au journal à 300 bauds pendant la préparation des résultats de la course suivante).
– Après cette période dans la réserve à Dijon, qu’es-tu devenu ?
Avec mon épouse nous avons déménagé dans le Sud pour une meilleure prise en charge de notre petit-fils handicapé et sous notre tutelle. C’est ainsi que nous avons fini par atterrir à Canet-en-Roussillon, où j’ai cofondé une section informatique au sein de l’Association Canet-Accueil.
Malheureusement, en 2011, mon épouse est décédée au moment où notre petit Sylvain venait d’être accueilli en Foyer. Deux mois après je proposais mes services à la communauté d’Emmaüs-Catalogne à Pollestres pour reconditionner les ordinateurs. J’ai commencé par installer le système d’exploitation Windows XP, acheté par Emmaüs, sur les machines données à la communauté.
– Dans quelles circonstances as-tu rencontré Patrick ?
Patrick avait sa famille à Pollestres et rendait visite à la communauté Emmaüs de Pollestres quand il était de passage et inévitablement nous nous sommes rencontrés pour parler d’informatique. A l’époque Patrick mettait au point sa première version d’Emmabuntüs basée alors sur Xubuntu. Et bien entendu nous sommes restés en contact depuis ce temps.
Je suis resté deux ans « Ami d’Emmaüs » à Pollestres puis, ayant deux filles installées à Genlis près de Dijon, j’ai décidé de me rapprocher d’elles.
– Donc tu vis maintenant du côté de Dijon. Est-ce-que tu continues la même activité au sein de la collectivité locale d’Emmaüs ?
A peine arrivé à Genlis je me suis rapproché du centre social Espace Coluche et j’ai contacté l’animateur de la section informatique à qui j’ai proposé de co-animer avec Emmabuntüs. C’était un jeudi, il m’a dit ne pas disposer de temps pour le moment mais il m’a donné rendez-vous le samedi suivant pour lui présenter mes arguments en faveur de Linux (et j’ai su plus tard que chez lui il était sous Linux). Le samedi venu j’ai présenté les arguments exposés par Sébastien Sauvage (sebsauvage.net) dont j’appréciais les conseils.
Yves à l’Espace Coluche, salle informatique à Genlis en 2013
Je me suis présenté à la communauté Emmaüs de Norges–la-Ville (30 Kms) mais la directrice ne recherchait que des personnes aidant à l’apprentissage du français (en fait elle avait déjà une personne s’occupant de l’informatique). Je luis ai dit alors franchement que « ce n’était pas mon truc ».
Peu après, sur la chaîne FR3 Bourgogne, je découvre la mise en place d’une annexe de Norges à Villers-les-Pots (12,5 Kms). Le lendemain je vais à la rencontre de la responsable de Villers, lui propose mes services en informatique et elle me répond « Je prends ». J’y suis donc maintenant depuis bientôt huit ans.
– As-tu aussi participé à des activités extérieures ?
En 2014 j’étais à la foire d’Auxonne, devant le camion Emmaüs de Villers à coté de la brocante et des meubles, pour présenter Emmabuntüs.
En 2015, j’étais avec Patrick sur le stand d’Emmabuntüs au Salon Primevère à Lyon.
J’ai participé au Forum des associations à Genlis sur le stand du SMICTOM pour parler de réemploi d’ordinateurs et présenter la ressourcerie Emmaüs.
J’ai aussi tenu un stand Emmabuntüs au Salon Régional d’Emmaüs à Dijon en 2018, et tous les deux ans je participe aux portes ouvertes d’Emmaüs à Norges-la-Ville.
– Tu viens de te porter volontaire pour l’opération « clé de réemploi ». Vois tu déjà une grosse demande de particuliers autour de toi ?
Je n’ai pas beaucoup de demandes pour l’instant, aussi pour faciliter l’écoulement du stock préparé j’ai demandé un stand à Norges le dimanche après-midi mais l’acceptation en est ajournée à cause de l’épidémie de Covid-19 et aussi par crainte pour ma propre santé. J’ai espoir que cette activité puisse démarrer dans quelques mois…
– Es-tu aussi impliqué dans la vie de ta ville ou ton village ?
Oui, dernièrement j’ai pris la présidence pour deux ans de l’association « Langues et Cultures Européennes » à Genlis, j’y ai installé un ensemble informatique avec internet partagé avec les Restos du Cœur (ils sont voisins et disposent d’une box…)
– As-tu aussi d’autres activités plus personnelles pour décompresser un peu ?
Je sème environ 600 graines de tomates, et un mois plus tard elles passent du séjour à la véranda qui change alors de vocation (préparation d’ordinateurs). Je mets 150 pieds chez moi et donne à des amis et chez Emmaüs le reste des pieds disponibles.
– Pour revenir un peu sur Emmabuntüs, quelles sont les particularités de cette distribution que tu trouves particulièrement intéressantes, comparées aux autres distribution Linux que tu connais et utilises peut-être ?
Cette distribution donne une belle gamme de logiciels et le Dock est intéressant, même s’il faut d’abord trouver le bon équilibre entre l’occupation de l’espace disponible sur l’écran et la facilité d’un accès direct aux différentes applications. La question ne se pose pas si l’on utilise deux écrans complémentaires. J’utilise en outre Kazam pour enregistrer des « replay » de la télévision en mp4. Ensuite ces enregistrements tournent sur 4 ordinateurs sur le stand de Villers-les-Pots afin d’amorcer la conversation avec les clients potentiels.
Il m’est arrivé d’installer Ubuntu Studio pour un musicien et j’ai commencé il y a un an à proposer aux clients potentiels de remplacer leur vieux système par la distribution Emmabuntüs, sous réserve que l’unité centrale fonctionne et dispose d’au moins 1 Go de RAM, et ce pour une somme modique versée dans la caisse d’Emmaüs.
De plus un professeur de l’IUT exceptionnellement de passage à Villers et impressionné par le stand Emmabuntüs, y voit une solution potentielle pour nombre de ses élèves en matière d’informatique, j’espère pouvoir aider quelques jeunes à s’équiper pour une somme modique.
– Utilises-tu d’autres distributions, à côté d’ Emmabuntüs ?
J’ai découvert Debian-Facile et je commence à l’installer d’autant plus facilement qu’il est aussi sur la clé de réinstallation.
– Souhaites-tu répondre ici à des questions que je n’ai pas pensé à te poser ?
Depuis huit ans j’ai régulièrement acheté à Norges des disques durs de faibles capacité donc pas chers. Aujourd’hui et grâce en partie à la clé de réinstallation utilisée dans le cadre de notre campagne de réemploi, j’ai profité du confinement pour mettre Emmabuntüs et Debian-Facile sur cette collection d’environ 200 disques (avec interfaces IDE et SATA) et j’ai commencé à en vendre aux prix de 2€ (40 Go) et 3€ (80 Go) pour faire découvrir nos systèmes GNU/Linux (en installant ce disque dans une tour) et discuter avec les clients pour les convaincre de la qualité des produits proposés.
Yves sur le stand informatique de la communauté d’Emmaüs de Villers-les-Pots en 2021
Et pour finir, Patrick m’avais mis en contact avec Adrien D. (voir note 1) qui vient, au nom de la société dans laquelle il est le responsable informatique, de me remettre gracieusement 8 ordinateurs, que je vais préparer avec Emmabuntüs DE3, et donner à des associations humanitaires locales dans le besoin. Je vais en remettre trois dès la semaine prochaine à une association qui m’a été recommandée.
Un grand merci à Adrien D. pour ce beau geste. Plutôt que de jeter le matériel informatique de la société après avoir retiré les données sensibles et/ou systèmes, celui-ci peut être reconditionné ! Le matériel qui ne répond plus aux exigences des entreprises peut tout a fait avoir une seconde vie, dans le cadre d’usages associatifs, avec un système moins gourmand, et repartir pour plusieurs années.
Léonie, responsable Emmaüs de Villers-les-Pots, Adrien et Yves
(1) Note de la rédaction :
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Adrien D est un blogueur et youtubeur assez populaire dans le monde Linux.
Son site blog/wiki est ici : http://www.linuxtricks.fr
Et je cite Adrien : « Selon un proverbe latin, Les paroles s’envolent, les écrits restent..
Le site de Linuxtricks est là pour recenser des astuces personnelles, des manipulations, que j’ai réalisées sous GNU/Linux. »
Sa chaîne YouTube Adrien Linuxtricks est par là : https://www.youtube.com/channel/UCDKPGD9T00eS_l–D_DRTUQ
Les vidéos qu’elle contient sont centrées sur le logiciel libre et plus spécialement de distributions Linux, des astuces à propos de la ligne de commande, et de tutoriels pour débutants ou niveau intermédiaire.
Les OS mis en avant par Adrien sont Gentoo Linux, Calculate Linux, Fedora et CentOS, ainsi que Linux Mint. Et on y parle même aussi de jeux sous Linux, et même parfois de Windows.
Si vous êtes intéressés pour donner du matériel, et que vous représentez une entreprise, n’oubliez pas de contractualiser le don par le biais d’une convention de don de matériel informatique. Adrien vous a mis à disposition un modèle sur son site :
https://www.linuxtricks.fr/wiki/exemple-convention-de-don-materiel-informatique