Que ce soit dans le domaine médical, alimentaire, boursier, industriel, éducatif, ou même agricole, il n’existe presque plus de secteur d’activité ayant échappé à l’emprise du code informatique : nous en dépendons désormais dans tous les domaines dans lesquels le savoir est clé.
Il est banal aujourd’hui d’avoir recours à des logiciels spécifiques pour élaborer un diagnostic médical, une voiture, la domotique d’un bureau ou d’une maison. Mais bien que les codes informatiques soient supposés nous simplifier la vie, ils nous maintiennent au passage dans un état de dépendance de plus en plus accrue… captifs de la logique qu’ils mettent en œuvre et qui nous échappe. C’est le cas par exemple dans le travail en cas de panne logicielle, y compris dans un tracteur ou une moissonneuse batteuse, loin des villes. Impossible pour l’agriculteur de réparer lui-même la panne car il n’a ni accès au code qui fait désormais fonctionner les multiples ordinateurs embarqués à bord, ni même non plus d’ailleurs au simple manuel de réparation qui a tout simplement disparu avec l’informatisation des machines, y compris agricoles. Il faudra à tout prix qu’il fasse appel à la marque concessionnaire de la machine, et au fabriquant, l’unique propriétaire de ce code… Et qu’il patiente jusqu’à son intervention, avant de devoir payer le prix fort.
Les logiciels dits « propriétaires » font ainsi perdre toute autonomie à leurs utilisateurs, dépendants de cette seule entité dont presque tout dépend désormais. Dans le documentaire Internet ou la révolution du partage réalisé par Philippe Borrel et diffusé sur ARTE, (version courte de son documentaire « La bataille du Libre »), des agriculteurs du Nebraska, en plein Middle-West américain, se rebellent contre le diktat des codes informatiques propriétaires qui leur ont fait perdre le droit de réparer leurs propres machines et même mis certains d’entre eux sur la paille. Kenneth Roelofsen, un fournisseur de pièces agricoles de Abilene au Kansas, ajoute : « s’ils ont le pouvoir de faire cela avec les logiciels, où est-ce que cela va s’arrêter ? ».
Nul ne peut le prédire. En attendant, on ne peut que constater l’emprise de ce nouveau capitalisme de « la connaissance » qui standardise tout au nom de la « propriété intellectuelle ». Dans le film, Karen Sandler, une juriste new-yorkaise, s’inquiète : « Quand j’achète une technologie, mon portable ou autre chose, je veux pouvoir la contrôler. Je veux savoir si quelqu’un m’espionne, je veux savoir si on transfère mes données à un tiers et je veux être capable de modifier cette technologie, afin de me protéger d’acteurs potentiellement nuisibles ». Comme cette activiste du Software Freedom Conservancy, de plus en plus de personnes se révoltent aujourd’hui contre l’emprise des logiciels privateurs. Pour ce faire, ils ont trouvé la meilleure parade : l’alternative des logiciels libres.
Affiche du documentaire « La bataille du Libre »,
version longue de « Internet ou la révolution du partage »
Richard Stallman, fondateur du projet GNU, président de la Free Software Foundation, et auteur de la Licence Publique Générale GNU, nous explique en détails ce qu’est un logiciel libre, à ne pas confondre avec un logiciel gratuit : « Le logiciel libre respecte la liberté de l’utilisateur. Il y a quatre libertés essentielles qu’un utilisateur de logiciels devrait toujours avoir : la liberté zéro est la liberté d’exécuter le programme de n’importe quelle manière, selon vos envies. La liberté un est la liberté d’étudier le code source du programme et de le modifier pour lui faire faire ce que vous souhaitez. La liberté deux est la liberté d’en distribuer des copies à d’autres gens comme on veut et donc, la possibilité de republier le programme. La liberté trois est celle de distribuer des copies de votre version modifiée à d’autres gens ».
Le logiciel libre promeut le partage, la connaissance au service de tous. C’est l’ensemble de ces quatre libertés qui attribue son caractère libre à un logiciel. S’il en manque une seule, il ne s’agit plus d’un logiciel libre, mais d’un logiciel propriétaire.
Pour Stallman, les trois principaux domaines d’où il faudrait bannir les brevets sont les semences, les médicaments et bien sûr les logiciels. Les brevets, c’est à dire le droit de propriété intellectuelle, constituant un véritable frein à la liberté de créer et d’innover. Alors que les logiciels propriétaires ont souvent un coût d’achat de licences exorbitant, ou des termes de licence contraignants sur nos données lorsqu’ils sont gratuits, les logiciels libres quant à eux sont fiables et sécurisés, économiques, pérennes et efficaces. Ils disposent de fonctionnalités très avancées, grâce à leurs contributeurs très nombreux et surtout passionnés. Les logiciels libres garantissent l’indépendance des utilisateurs, puisque leur code source reste accessible de tous, librement. Utiliser des logiciels sans pouvoir les contrôler, les modifier, les améliorer ou tout simplement pouvoir comprendre comment ils fonctionnent, c’est délibérément accepter de rester captif d’un système qui aliène.
Philippe Borrel, le réalisateur du documentaire
Dans une interview accordée à Frédéric Couchet animateur de l’émission « Libre à Vous » sur la radio cause Commune, et délégué général de l’April, Philippe Borrel, le réalisateur de « Internet ou la révolution du partage », revient sur le cas des agriculteurs prisonniers des logiciels privateurs implantés dans leurs engins. Pour lui, le problème va plus loin car « ces agriculteurs du Nebraska, véritables entrepreneurs de l’agriculture productiviste, sont en fait prisonniers dans tous les domaines: ils se sont endettés auprès de banques pour acquérir des terres mortes. Sans engrais ou intrants chimiques plus rien ne pousse spontanément. Les semences sont propriétaires elles aussi, hybrides ou OGM. Les machines agricoles de plus en plus « autonomes », sont pilotées par un algorithme dont le code informatique reste inaccessible. Que leur reste t-il comme pouvoir, comme autonomie ? Ils s’aperçoivent qu’ils sont juste pieds et poings liés, piégés. Ils se sont fait dépouiller de presque tous leurs savoirs faire ». Il ajoute : « À ce moment du film, on n’est plus sur le monde du Libre, on est sur quelque chose de plus global : en fait une résistance contre une logique qui avance en ce moment comme un rouleau compresseur et qui concerne au final tout le monde ».
De nombreuses associations ont ainsi vu le jour pour sensibiliser les populations aux enjeux de l’utilisation des logiciels libres. Par exemple : April, PING, Framasoft, le collectif Emmabuntüs en France, et bien d’autres associations en Afrique et dans le reste du monde. Plusieurs initiatives telles que les install party et les JerryClan naissent de par le monde afin de pousser les utilisateurs de logiciels à se réapproprier le savoir-faire et à le contrôler. Le documentaire de Philippe Borrel est d’ailleurs un bon moyen de prendre connaissance des enjeux des logiciels libres.
Le documentaire peut, dès à présent, être diffusé dans des salles de classe en France, dans le cadre de l’accord entre les ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et la PROCIREP (société des producteurs de cinéma et de télévision), par les enseignants ayant le souci de faire connaître le plus tôt possible les enjeux de la culture libre à leurs élèves.
Visitez la page du documentaire sur Wikipedia pour en savoir plus ; regardez ce documentaire sur Arte car comme dirait Richard Stallman, « il est temps de rejoindre la résistance », il est temps d’arracher notre liberté. N’hésitez pas à inviter Philippe Borrel pour des projections-débats autour de son documentaire, il se fera un plaisir de répondre présent, tel qu’il l’a d’ailleurs déjà fait jusqu’ici. Retrouvez tout le programme des projections de « La Bataille Du Libre », la version longue du film documentaire de Philippe Borrel, sur cette page.
Les 15 bonus du documentaire sur le compte PeerTube de Philippe Borrel
Francine Rochelet du collectif Emmabuntüs.
Crédits photos : Affiche : Temps noir, photo du réalisateur : Patrice Terraz, extrait et bonus du documentaire : Marion Chataing et Philippe Borrel.