Bonjour Simon,
le collectif Emmabuntüs a pris connaissance avec grand intérêt de tes dernières actions autour de Couëron (mais c’est où Couëron ?) et souhaite maintenant faire plus ample connaissance avec toi, si tu le veux bien ?
Bonjour Yves,
Je serais ravi de parler des actions que nous avons menées à Couëron. Couëron est une ville de 20000 habitants à 15km à l’ouest de Nantes.
– Quel a été ton cheminement personnel pour en arriver à reconditionner de vieux ordinateurs ?
Depuis quelques années je suis sensibilisé aux enjeux environnementaux (réchauffement climatique, biodiversité etc…). J’ai changé plusieurs de mes habitudes pour limiter les impacts. Mais je voulais agir au-delà de mon cercle familial. C’est ainsi que je me suis formé et suis devenu animateur de la Fresque du climat.
De plus, je travaille dans l’informatique (développeur) et je m’étais documenté sur la pollution numérique et le numérique responsable afin d’identifier mes moyens d’actions à l’échelle professionnelle. J’ai appris que l’essentiel de la pollution numérique était dû à la fabrication des terminaux des utilisateurs : tous nos ordinateurs, smartphones, TV connectées etc… Donc d’un point de vue professionnel, il fallait que je veille en particulier à éviter d’introduire involontairement de l’obsolescence.
Durant le premier confinement ma compagne qui ne pouvait plus exercer son activité professionnelle a eu besoin d’un ordinateur. De mon côté je continuais à travailler en télétravail et ne pouvais pas lui passer notre matériel. Afin d’éviter d’acheter un ordinateur neuf, je me suis lancé dans la réparation d’un vieil ordinateur portable qui était resté dans un placard. Après quelques réparations matérielles basiques, j’ai cherché un Linux léger. Et c’est dans les listes de distributions Linux légères que j’ai découvert Emmabuntüs.
C’est ainsi que l’idée a germée. J’ai proposé à l’Union des centres sociaux culturels de Couëron un projet de ré-emploi d’ordinateurs par et pour les Couëronnais. L’Union disposait déjà d’un collectif de soutien au numérique apportant son assistance aux habitants ayant du mal à utiliser leur matériel. Mon projet venait compléter le leur, en permettant à ceux n’étant pas encore équipés de recevoir un ordinateur.
Le projet a pris son envol et plusieurs bénévoles se sont joints au projet.
Couëron. Redonner vie aux ordinateurs portables, c’est tout bon pour la solidarité et la planète
– Quel est ton rôle au sein de ce collectif ?
L’Union des centres est au contact de la population et identifie des personnes ayant besoin d’être équipées. Il y a par exemple des familles qui n’ont qu’un smartphone comme seul point de connexion à Internet. Les enfants ont de plus en plus besoin d’aller sur Internet dans le cadre de leurs cours, surtout à partir du collège, et emprunter le matériel des parents n’est pas pratique.
Du côté des bénévoles nous collectons des ordinateurs, et nous les reconditionnons sous Linux. Lorsque cela est fait, l’animatrice du centre organise une rencontre entre la famille et nous pour que nous puissions leur donner l’ordinateur et leur expliquer comment l’utiliser.
Nous participons aussi à des « Bidouille Café » organisés à le centre sociaux-culturels, c’est le nom que nous avons donné à nos Repair’Café. Il s’agit d’évènement de co-réparation de matériel avec les habitants. Ceux-ci viennent avec un objet qui ne fonctionne plus (un vélo, un grille-pain, un ordinateur), et nous le réparons. Pour les ordinateurs, cela devient des « Install Party » car la réparation la plus appropriée sur de vieux ordinateurs consiste souvent à les passer sous Linux.
– Vous avez aussi reconditionné des ordinateurs pour l’Afrique ?
Effectivement, grâce au réseau de bénévoles de l’Union des centres sociaux culturels de Couëron, nous avons été mis en contact avec Jacques de l’association Matéri qui apporte de l’aide au Bénin. Nous lui avons confié deux ordinateurs portables sous Emmabuntüs qui ont pu être remis au collège de Matéri.
La photo parle d’elle-même : deux ordinateurs dont on ne veut plus en France sont accueillis en grande pompe au Bénin. Nos quotidiens respectifs sont radicalement différents.
Je n’avais pas prévu d’envoyer des ordinateurs en Afrique en lançant ce projet, mais l’opportunité s’est présentée. Cela a été une rencontre intéressante avec Jacques qui m’a présenté leurs activités. Je vous invite à jeter un œil à leur site Internet.
– Peux-tu nous parler un peu plus de l’Union des centres et du collectif de soutien au numérique ?
A Couëron il y a deux centres sociaux culturels proposant chacun tout un tas d’activités et de services. L’Union des centres est une association permettant à ces centres de porter des projets en commun. Aujourd’hui il y en a trois :
- Une épicerie solidaire, qui permet au plus démunis de récupérer de la nourriture invendue ;
- Le projet Jardin’âge qui permet d’aller jardiner dans le jardin de personnes âgées et d’en partager la production. C’est un beau projet intergénérationnel ;
- Le collectif de soutien au numérique et de ré-emploi d’ordinateurs dont je fais partie.
Le collectif de soutien au numérique regroupe des bénévoles qui prennent sur leurs temps libres pour aider la population à surmonter les difficultés numériques. Une animatrice du centre reçoit des appels téléphoniques de personnes ayant besoin d’être aidée et elle nous contacte pour savoir qui est disponible.
Les aides sont de nature très variées : matériel qui fonctionne mal, besoin d’explication pour utiliser son ordinateur, copier des fichiers etc… En général je propose mon aide quand cela concerne un problème matériel (besoin de conseils pour acheter, réparer ou utiliser un vieil ordinateur).
– A quelle occasion es-tu entré en contact avec le collectif Emmabuntüs ?
Les tout premiers échanges ont eu lieu sur le forum Internet d’Emmabuntüs alors que je rencontrais des difficultés pour reconditionner des ordinateurs ou fabriquer la fameuse clé de ré-emploi. Patrick a été très réactif pour m’aider. Cela m’a confirmé que la distribution Emmabuntüs était une bonne solution, car c’est toujours rassurant de savoir qu’on pourra avoir de l’aide en cas de difficulté.
Les discussions se sont poursuivies quand mon projet a commencé à prendre vie car je prenais des photos des ordinateurs reconditionnés pour en parler sur Internet et les réseaux sociaux. Cela me semble important de documenter et raconter ce que l’on fait. Je crois que c’est un podcast d’Arthur Keller sur le « story telling » qui m’a motivé à documenter et communiquer sur mes actions. Cela permet de donner envie à d’autres de faire pareil, de montrer que ce n’est pas si compliqué. J’ai aussi reçu de l’aide sans même l’avoir demandée.
– Depuis quand es-tu branché sur l’informatique en général, et GNU/Linux en particulier ?
L’informatique c’est depuis le lycée, avec la découverte d’Internet et la possibilité de pouvoir faire un site Internet qui puisse être vu par le monde entier. Je me suis essayé à la programmation d’un site Internet, j’ai trouvé cela passionnant et j’ai décidé d’en faire mon métier.
Côté Linux, je n’en suis pas un grand usager. Pendant des années, j’achetais mes ordinateurs sous Windows, je ne les passais sous Linux que lorsque les performances devenaient trop limitées. Et je finissais par racheter un nouvel ordinateur sous Windows. C’était surtout l’aspect économique qui me motivait, pour retarder le passage à la caisse.
Désormais, avec un regard plus soucieux sur l’environnement, je vois tout le potentiel de Linux, des logiciels libres, de l’open hardware etc… Ils ont un rôle à jouer dans la transition écologique, en luttant contre l’obsolescence du matériel et des logiciels. J’ai d’ailleurs adhéré à l’association HOP ! (Halte à l’Obsolescence Programmée) pour les soutenir financièrement.
– Lors de tes derniers « bidouilles-cafés » informatiques, as-tu eu l’occasion d’utiliser la fameuse clé magique de réemploi développée par Emmabuntüs ?
Évidement ! Merci à Amaury pour toutes les vidéos qu’il diffuse sur YouTube [NDLR : et aussi sur PeerTube 😉 ] sur cette clé. Ces vidéos m’ont décidé de choisir Emmabuntüs, car j’avais besoin d’une distribution qui s’installe rapidement.
J’utilise surtout la version Free Culture afin d’embarquer le plus de chose. Je rajoute parfois des jeux et logiciels éducatifs quand je sais que des enfants utiliseront l’ordinateur. Quand la personne n’a pas Internet, ce qui est rare désormais, j’utilise Kiwix pour ajouter Wikipédia hors-ligne.
– Comment affronter la contradiction entre une volonté politique forte pour dématérialiser nombre de démarches administrative et le faible niveau informatique de la population en général, couplé avec un enseignement de cette matière pour le moins déficient ?
« Vous-avez 3 heures ! » 😊
La numérisation des démarches administratives me semble nécessaire. A la fois parce que c’est plus confortable pour la plupart d’entre-nous, plus efficace et peut permettre de limiter les déplacements et donc la pollution et les coûts associés.
Dans le même temps je fais le constat que les personnes que j’ai aidées ont de vraies difficultés et ne savent pas faire certaines choses qui me semblent évidentes. On parle d’« illectronisme ».
Alors que faire ? Voici quelques idées :
- Ne pas fermer les guichets physiques, il faut pouvoir continuer à faire « comme avant » pour tous ceux qui ne sont pas encore à l’aise avec le numérique ;
- Il faut soutenir, au moins financièrement, les associations, collectifs, bénévoles qui viennent apporter leur aide à la population. Je trouve que les projets œuvrant à l’inclusion numérique sont trop peu soutenus par l’État ou les collectivités locales ;
- Il faut aussi soutenir les secteurs professionnels du reconditionnement car ils permettent à toute la population de s’équiper à moindre de coût et en ayant moins d’impact sur la pollution numérique ;
Il faut soutenir la durabilité, la réparabilité et la réparation des équipements pour qu’ils ne soient pas une charge financière trop régulière, comme peut l’être une voiture qu’on doit amener trop souvent chez le garagiste. Pour cela il y a le « fond réparation » dont l’enveloppe a été réduite ; -
Il faut que ces démarches sur Internet soit accessibles, je ne parle pas ici uniquement d’un public ayant un handicap mais que leur usage soit très simple pour tout le monde. Il reste énormément de sites trop complexes et où l’utilisateur se perd. Il faut prendre en compte l’expertise des « UX designers » (les concepteurs d’expérience utilisateurs) dont c’est précisément le métier.
L’État et les collectivités ont de belles marges d’évolution, mais nous autres citoyens pouvons apporter notre pierre à l’édifice en s’engageant auprès d’une association ou en rejoignant la campagne de réemploi pour tous.