Bonjour Stéphane,
le collectif Emmabuntüs suit avec grand intérêt tes actions dans le Nord de la France et nous souhaiterions mieux te connaître au travers de cette interview, si tu le veux bien.
– Peux-tu dire quelques mots personnels sur Les Bricos du Cœur où tu es bénévole je crois ?
Pas tout à fait bénévole, mais je vais vous raconter cette petite histoire : Travaillant depuis plus d’une vingtaine d’année dans une grande entreprise de Bricolage avec un logo vert dans les Hauts-de-France, nous avons eu, autour de 2010, la chance d’avoir une direction souhaitant écouter, soutenir et fédérer des idées de développement personnel. C’est ainsi que des projets de covoiturage, de visite de lieu, de projection de film en lien avec l’habitat, de reconditionnement de matériel informatique et surtout d’organisation de chantier de rénovation ont pu émerger. C’est de cette dernière action qu’est né le collectif des Bricos du Cœur qui continue à vivre maintenant sous forme d’une association 1901,reconnue d’intérêt général, qui fédère de nombreux bénévoles et a déjà organisé plus de 460 chantiers solidaires. et plusieurs centaines dans le Monde !
– Quel est le lien entre Les Bricos du Cœur et le projet GiveIT ?
Parlons tout d’abord de GiveIT : GiveIT est aussi une émergence de ces projets d’« intrapreneuriat ». L’entreprise a eu et a toujours une croissance organique importante et s’est posée la question du devenir d’une partie du matériel informatique qui a bien servi mais n’est plus en capacité de répondre aux exigences des utilisateurs. Le service bureautique a convaincu la direction qu’une partie du parc pouvait être reconditionnée et que par ce biais nous pourrions créer du lien entre le monde de l’entreprise et la vie civile, cela tombant parfaitement dans le cadre d’une politique RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).
Nous avons maillé avec les Bricos du Cœur car durant les animations de chantiers solidaires certaines structures sont en recherche de matériel informatique et c’est là que GiveIT comble le manque.
– Quel a été ton cheminement personnel pour en arriver à reconditionner de vieux ordinateurs ?
Mon implication dans le monde associatif et scolaire a été un vecteur : je me suis adressé au service bureautique de mon entreprise pour répondre à l’époque à des demandes en matériel de l’école des enfants. L’action GiveIT venait de se lancer, mes connaissances en informatique libre et dans les distributions Linux ont été comme une évidence lorsqu’il s’est agi de reconditionner le matériel rapidement et facilement. J’ai installé quelques postes avec un CD-ROM, et c’est comme ça que l’aventure a démarré fin 2013.
– Quels sont l’environnement et la population que vous ciblez plus particulièrement ?
Nous cherchons avant tout à créer du lien avec nos collaborateurs : nous disposons d’un parc limité de portables cédés par l’entreprise et organisons 3 à 4 sessions de reconditionnement par an. Une autre partie est destinée à Emmaüs Connect.
Via le réseau social de l’entreprise nous annonçons et lançons des « install parties » : 4 à 5 collègues max viennent sur leur temps libre, en général le temps du midi et nous installons, via des clefs USB, une distribution Emmabuntüs légèrement modifiée avec un « splash screen » et un fond d’écran différents.
Ces « install parties » sont l’occasion de vulgariser le monde de l’Open Source avec sa kyrielle de logiciels libres, d’expliquer que le matériel a une deuxième jeunesse et qu’il pourrait en être de même pour les ordinateurs personnels des salariés. Nous débriefons sur les dons effectués depuis la dernière « install party » et incitons les collègues à nous mettre en relation avec un porteur d’association.
Les représentants d’association sont invités à venir retirer le matériel et doivent signer une convention avec notre entreprise. Un bon de sortie est aussi joint pour justifier la sortie du matériel de nos actifs
On accepte les demandes de structures qui adoptent le leitmotiv des Bricos du Cœur , « des gens qui aident les gens » et qui ont un rapport avec le bricolage ou l’habitat mais cela peut aller exceptionnellement vers un don à une maison de retraite, à des associations 1901 d’aide aux blessés, à des hôpitaux, des écoles au bout du monde, etc…
C’est ainsi que depuis 2013, plus d’une cinquantaine de collaborateurs nous ont aidé dans cette action, plus de 650 ordinateurs ont été remastérisés et 86 associations ont déjà reçu du matériel, dont YovoTogo en 2020.
– A quelle occasion es-tu entré en contact avec le collectif Emmabuntüs ?
Nous effectuions nos reconditionnements avec Linux Mint dont le « Look & Feel » nous satisfaisait pleinement, mais nous cherchions malgré tout à varier nos installations. Ma collègue avait entendu parlé d’une distribution solidaire autour d’Emmaüs, et après quelques recherches il s’est avéré qu’en fait il s’agissait d’Emmabuntüs, et nous avons tout de suite été emballés par la dynamique de cette distribution et avons commencé à l’utiliser pour le reconditionnement du matériel : postes fixes et portables.
En 2020 nous avons fait face à une forte demande et nous avions du matériel plus ancien qu’on ne se voyait pas reconditionner faute de temps. Nous avons découvert un lien entre Emmabuntüs et une association Française œuvrant pour le Nord Togo. Nous avons contacté l’équipe, via son site Web, qui nous a mis en relation avec le président de YovoTogo, Claude. Il est monté dans le Nord pour récupérer le lot et c’est comme ça que j’ai découvert un peu plus en profondeur le collectif.
– Quels sont les ajouts que tu mets dans cette distribution pour la rendre encore plus attractive pour les utilisateurs potentiels ?
Nous n’avons quasiment rien ajouté : la distribution est très agréable à utiliser, du fait que nativement elle intègre une palette de logiciels très démocratisés ( Libre Office / Navigateur Firefox / Gimp / Gcompris / …).
La seule entorse au libre est l’ajout d’un client Zoom suite aux périodes de confinement où la demande de vidéoconférence était assez forte.
Nous mettons sur le bureau des raccourcis vers les logiciels les plus utilisés et nous demandons après chaque don de nous faire un retour d’expérience; beaucoup citent LibreOffice.
– Depuis quand es-tu branché sur l’informatique en général, et GNU/Linux en particulier ?
À plus de 50 ans j’ai toujours baigné dans le monde de l’informatique, je me rappelle très bien de mon Sony MSX ou de mon PC i386 DX33 qui me désespérait lorsqu’à chaque montée de version de Windows, il fallait réinvestir : changer de carte vidéo, mettre à jour la mémoire ou changer le processeur quand le « socket » sur la carte mère le permettait.
De fait je me suis tourné vers des systèmes d’exploitation (Linux) moins gourmands et c’est là que j’ai progressivement découvert un monde plus « libre » et plus communautaire qui correspondait à mon état d’esprit.
Pour info mon ordinateur professionnel utilise une distribution Ubuntu 20.04 qui remplit correctement tous les besoins de développement logiciel (Java / Python), de communication instantanée (Signal / Discord) et de multimédia (OBS / Audacity / VLC / KdenLive). Certes ce n’est pas une distribution très récente, ni la plus geek qui soit, mais cette version « Long Term Support » est imposée pour des raisons de gestion du parc.
Par contre il reste quelque part chez moi, dans un placard, un ordinateur sous Windows 10 qu’on sort de temps en temps …
– Je crois que tu as utilisé la méthode de la clé de réemploi Emmabuntüs. L’as-tu personnalisée aussi pour tes besoins spécifiques ?
Oui, mais en fait très peu, juste pour améliorer les scripts Bash pour la gestion des disques SSD au format NVMe lors de l’installation d’Emmabuntüs. L’information a été communiquée au collectif et les scripts de la clé de réemploi ont été adaptés très vite. Preuve que la communauté est réactive et vivante.
– Que vous apporte cette clé de réemploi ?
Une méthodologie éprouvée qui nous fait gagner un temps très précieux. Lors de nos « install parties » cadrées sur une heure au maximum avec entre 3 et 5 personnes, nous conditionnons un peu plus de 20 laptops et c’est top pour répondre rapidement aux demandes de don.
– L’utilisez vous avec des débutants en reconditionnement ?
Oui tout à fait. Nous faisons des sessions avec des personnes non informaticiennes et elles sont surprises que l’on puisse reconditionner aussi facilement un ordinateur. Sous condition d’une petite vérification dans le Bios dont je me charge (« Secure boot » désactivé).
– Une question que j’aurais oublié de te poser ?
Non … Ah si peut-être : À quand une rencontre physique avec tout ce beau monde gravitant autour d’Emmabuntüs, afin de pouvoir mettre des visages sur vos noms !