Emmabuntüs, l’informatique au service de l’humanitaire
Patrick est bénévole à Emmaüs depuis 2010. Il a commencé à Neuilly-Plaisance, où il réparait et reconditionnait des ordinateurs donnés à la communauté des chiffonniers. « Un ordinateur en panne, ça ne vaut plus rien, c’est vendu au kilo » précise-t-il. En revanche, le réemploi permet de lutter contre le gaspillage des matières premières et de générer des revenus pour l’association. Au début, les ordinateurs reconditionnés étaient vendus avec le système d’exploitation d’origine, à savoir Windows, « mais cela pouvait enfreindre le contrat de licence d’utilisateur final contracté implicitement lors de l’achat de la machine ». Patrick a donc eu recours à un système d’exploitation libre et a créé sa propre version d’Ubuntu, baptisée Emmabuntüs. « Elle offre plus de facilités d’utilisation dans un cadre familial, et contient tous les logiciels nécessaires à une prise en main rapide ». Pour présenter aux clients ce système d’exploitation, plusieurs bénévoles de l’association Montpel’libre animent un atelier à Emmaüs Montpellier. « On a vendu quatre ordinateurs équipés d’Emmabuntüs depuis octobre. Les gens savent maintenant qu’il peut y avoir autre chose que Windows » explique Cédric, bénévole à Montpel’libre. « A Emmaüs Liberté d’Ivry-sur-Seine, en région parisienne, lors de la grande vente d’un samedi mémorable en septembre 2013, il s’est écoulé jusqu’à 18 portables et 2 tours. Un client est même parti fâché, car on a refusé de lui vendre deux PC afin qu’il y en ait pour tout le monde! », explique Hervé du collectif Emmabuntüs.
Patrick se réjouit aujourd’hui d’être entouré d’une vingtaine de personnes, au sein du collectif Emmabuntüs créé en 2011. Si Emmaüs Neuilly-Plaisance n’est plus dans cette démarche, d’autres communautés s’y sont mises à Montpellier, Paris, Ivry-sur-Seine, Villers-les-pots (Côte-d’Or), Angers. « On n’est pas Emmaüs, mais on adhère à la charte et notre but est de travailler avec eux », précise Patrick. Emmabuntüs encourage des associations humanitaires et des groupes d’individus à se lancer dans le reconditionnement, pour lutter contre la pauvreté et la fracture numérique.
L’association Les PC de l’espoir, installée à Béthune, dans le Pas-de-Calais, s’inscrit dans cette démarche. « Je ne comprends pas qu’on puisse détruire des ordinateurs alors que d’autres n’en ont pas » s’insurge Alain Mailly, qui s’est lancé dans le reconditionnement « pour être le lien entre ceux qui jettent et ceux qui ont besoin ». Ses ordinateurs sont vendus entre 40 et 80 euros à des écoles, des chômeurs, des personnes en difficulté. « Je me suis rendu compte qu’on formait à l’informatique des gens qui n’avaient pas d’ordinateur à la maison ». La moitié de ses machines est équipée, depuis 2012, d’Emmabuntüs, qui « propose une solution simple et facile » pour installer le système après avoir assemblé et connecté les composants. « Je ne suis pas informaticien et je trouve ça extraordinaire, car il y a tout dedans, les pilotes sont installés » ajoute Alain Mailly. Autre avantage : Emmabuntüs est léger, ce qui signifie qu’il n’exige pas une grande puissance et peut être installé sur des ordinateurs assez anciens.
Jerry, le plus citoyen des ordinateurs
Fabriqué dans un bidon en plastique, agrémenté parfois d’une tête de pingouin ou de grenouille, Jerry est né en 2011, dans la très sérieuse Ecole nationale supérieure de création industrielle (Ensci), à Paris. En collaboration avec une start-up, trois étudiants ont conçu ce modèle d’ordinateur à partir de matériel informatique récupéré et placé à l’intérieur d’un jerrycan. L’objet a rencontré peu à peu son public, grâce à l’engagement d’un petit groupe adepte du numérique libre : « Avec les concepteurs de l’outil, on a monté l’association Jerry do it together , pour rendre Jerry disponible à tous ceux qui en ont besoin » explique Romain Chanut, cofondateur de l’association. « On promeut le « pair à pair » qui consiste à s’appuyer sur l’expérience de l’autre ». Ces échanges de savoirs s’opèrent au sein d’ateliers gratuits participatifs.
A Bouaké, en Côte d’Ivoire, Jerry est arrivé comme la solution « miracle ». Dans cette ville du centre du pays, située à 350 km de la capitale Abidjan, le petit ordinateur associé à Emmabuntüs a permis de répondre à une problématique de territoire bien spécifique. « Beaucoup de malades tuberculeux oublient de prendre leurs médicaments » témoigne Florent Youzan, responsable du projet. Au cours d’un atelier, on a appris aux étudiants à reconditionner des ordinateurs à partir d’éléments recyclés, et on a créé Jerrytub, une application open source (utilisable par tous) – (Ndlr. : pour le moment expérimentale), qui permet de « rappeler aux malades à quelle heure ils doivent prendre leur traitement ». Mais Jerry a bien d’autres applications dans son bidon. Le programme expérimental M-Pregnancy, créé également à Bouaké, permettra aux femmes enceintes de recevoir sur leur téléphone portable un message leur rappelant leurs rendez-vous médicaux. Cette application devrait permettre d’améliorer le suivi des grossesses et de réduire le taux élevé de mortalité maternelle.
De Bouaké à Saint-Etienne, le coût de fabrication est le même, c’est à dire quasi nul : « Nous, ça nous a coûté le prix d’un ballon pour faire la bouche de Jerry » se souvient Simon Jacquemin, médiateur numérique. En 2013, alors qu’il animait des ateliers au Centre social de Beaulieu, à Saint-Etienne, Simon a fabriqué avec des adolescents, en trois demi-journées, un Jerry baptisé Angry Birds. « Les enfants ont ramené des pièces informatiques qui traînaient chez eux, et des éléments de décoration. On a essayé les pièces. Je leur ai expliqué ce qui s’assemble et comment ça marche. Le dernier jour, on a installé Emmabuntüs, un système d’exploitation libre et gratuit. Ensuite on a collé à Jerry une crête et des boules en polystyrène pour les yeux ». Une soixantaine de Jerry ont vu le jour aux quatre coins de la planète, essentiellement en Afrique.
Articles écrits par Nicole Gellot pour L’âge de faire :